125. Ultra indigne...

Amis des cloques et de l’épiderme qui se décolle, bonsoir ! 

C’est de la banlieue parisienne que Le Père s’adresse à toi, jeune lecteur patient… Non, n’aie crainte, il ne s’est pas fait enlever sur le Tour du Mont-Blanc… 

 OOOOHHHHH !! T’as vu le format du Père ?! Il a une tronche à se faire enlever ?! 

Tel le peuple, il travaille, et avait bêtement fixé un rendez-vous au surlendemain de sa dernière course… Ce qui, rétrospectivement, semble être une idée nettement moins bonne… Il s’est traîné, avec des baskets, seules chaussures qu’il condescend à enfiler sur ses cloques mal pansées, pour rencontrer des gens, mais n’en mène pas large et n’est pas débordant d’énergie… 

Vous connaissez le dicton : un orteil vous manque et tout est dépeuplé… Alors imaginez avec 4-5 orteils ! Une nouvelle fois, nos amis sadiques, masochistes de tout poil et vicieux divers sont la bienvenue, par message privé, s’ils souhaitent quelques photos de mes pieds post course pour agrémenter leur soirée… Après quoi ! 

Le Père a toujours fait partie de ceux qui considèrent qu’un ultra commence au-delà de 150km, 170 pour être sûr qu’il n’y ait pas filouterie d’auberge ou doute légitime. Il avait également dit : nan, déjà 100km, faut arrêter, c’est pas pour moi ! Alors plus… 

Ok, il n’y a que les langoustines et les pangolins qui ne changent pas d’avis… Il s’est inscrit l’X-Alpine de Verbier (3 tentatives prouvant que, malgré des signes importants d’adversité, il ne renonce pas, même quand tout le jette à la porte à coup de lattes dans le sac de trail… enfin, nos lecteurs numismates auront saisi !), puis a fini Montreux (MXtreme, 112km) une première fois, qui plus est debout, à son immense surprise, puis 2 autres fois encore… 

En 2019, il participe bêtement à un tirage au sort pour aller essayer la TDS. Le calcul est simple : il participe au tirage, n’est pas pris cette année-là et y retourne l’année suivante quand il est prêt… Imparable ! C’était oublié que la TDS est fourbe, bien que passant par Bourg-Saint-Maurice, lieu de naissance du Père… Fourbe et difficile, ce qui fait que ceux qui ont les points, ou le choix, se lancent plutôt dans l’UTMB que dans la TDS, rapport au prestige comparé à la souffrance… L’ignorance du Père se dispute avec sa candeur… Il se retrouve donc sur le tracé et en bave suffisamment pour se dire que cette fois, ça suffit, merde à la fin, 110 c’est bien aussi… 

C’est donc tout naturellement, l’esprit rongé par le marketing et drogué à la dopamine, que fin 2020, il s’inscrit pour l’UTMB 2021. Le calcul est, cette fois, totalement imparable, mathématique, voire démoniaque : 2020 a été annulé pour cause de maladie planétaire, il y a donc 2’500 coureurs qui seront inscrits prioritairement cette année, donc il ne sera pas pris et pourra se préparer pour 2022 ! 

Résultat logique : Le Père reçoit un tirage négatif, peu de temps après, et oublie cette idée pour se replonger dans le gras, le sucre et la paresse: l’anorexie est définitivement un fléau qu’il faut combattre chaque jour ! 

Comme tout le monde, il continue de recevoir la pub de l’organisation de l’UTMB. Alors qu’il somnole dans un train en rentrant de Zurich, il efface des emails distraitement, lorsqu’un message le fait sursauter : sujet : Draft Positive. 

HEEEEIIIIINNNNN ?!?! 
Quoi positive ?! 

La missive explique que, à la suite du COVID, les coureurs de la plupart des pays ne peuvent pas voyager pour Chamonix, en raison des restrictions. Le Père est repêché. 

Et là, c’est le drame ! Le Père est peu entraîné, beaucoup trop lourd, n’a pas assez de dénivelé dans les papattes et n’est pas prêt physiquement à se préparer psychologiquement pour ce genre de course… En gros, c’est le mimi, le rara, la memerde ! Heureusement, il reste un peu de temps !!! 

Après avoir couru la Sky de l’Ultraks à Zermatt avec Madame, une semaine plus tard, le Père se retrouve à Chamonix. Résumé pour faire simple : après un départ plutôt pas mal, Le Père fait une Prigogine : explosion en plein vol ! Arrivé à Courmayeur, arrêt trop long (si, si, même compté en années de yak ou d’axolotl, c’est vraiment long 1h47 !), et décès dans la montée au refuge Bertone. Heureusement, un coureur que Le Père connaît le rattrape sur ce passage et essaie de le ressusciter… 

On va re-faire simple : c’est un trailnage (mélange de trail et carnage), Le Père est décédé plusieurs fois, mais finit en courant avec les punks, par passer la ligne en 45h02. Le Père ne pleure pas, il transpire des yeux, à la limite. C’est dur, difficile d’imaginer à quel point, mais l’entrée dans Chamonix et l’arrivée sont incroyables… Obligé de courir, quel que soit l’état dans lequel on est, il jure d’arrêter le sport, les conneries et de ne plus jamais se réinscrire pour une telle course ! 

2022, l’X-alpine (Verbier), qu’il n’a jamais finie quand elle faisait 110km, passe à 140 et part le soir au lieu de 1h du matin… Comme toute personne sensée, Le Père y voit une super opportunité d’en baver sa race un peu plus longtemps et ce dit que ce sera plus facile, enfin jouable ! Il s’aperçoit qu’un pote, trailer de son état, va aussi y prendre part et fait également le Wildstrubel plus tard dans l’année, nouvelle course qualificative pour l’UTMB que ledit coureur souhaite tenter… 

Car oui, c’est un sport où il faut se qualifier et souffrir quelques fois pour avoir le droit de participer à un tirage au sort pour souffrir vraiment… Dit comme ça, ça paraît moins logique comme approche ! 

Voilà Le Père inscrit pour le Wildstrubel également, il y a moins de dénivelé que Montreux, ça ne peut pas faire de mal, non ?! 

Verbier en bref : abandon au Grand St-Bernard, sur douleur genouesque, malgré une remontada mangifique dans la montée La Fouly – le col de Fenêtre et un probable début d’explosion, Le Père met plus d’une heure pour la petite descente qui suit le col, alors qu’elle ne présente aucune difficulté… En avance sur la barrière, il se résout à s’arrêter par peur de flinguer le reste de la saison et de se blesser durablement. 

En septembre 2022, le Wildstrubel se passe plutôt bien… Enfin, bien… à l’échelle du Père ! Parti pas trop vite pour ne pas se cramer, ça va pas trop mal jusqu’à LeuKKKKRRRRReRRRRbâââd. Là : petit ravito, grand soleil, et on regarde la paroi par laquelle on est censé monter au Gemmipass… 

- Bah non, là… ça va pas passer !? 
- Mais si ça passe ! 

Techniquement, c’est vrai, ça passe… Mais c’est vallonné comme disent les Valaisans ! Le Père arrive à bout de cette montée redoutable, non sans avoir copieusement insulté le gars qui a eu l’idée d’ajouter quelques marches en béton à la fin (le genre de décorateur de montagne, garde chemins ou autre sadique détestant les sportifs et les humains en général), histoire de corser un poil le passage, pour éviter que ce soit trop roulant. 

Kandersteg, ravito puis re-bosse, Le Père arrive à Adelboden. A chaque ravito, il croise la meilleure moitié de son collègue de course qui est parti un poil moins fort. Il repart et il pleut un peu depuis pas mal de temps. Ça glisse et Le Père a le choix entre : 1) se vautrer dans la boue sur le chemin, 2) glisser sur de la caillasse mouillée ou 3) s’étaler dans l’herbe. Logiquement: le plus droit possible et on freine avec la tronche ou les dents, suivant l’humeur… C’est donc entre Adelboden et Sillerebüel que Le Père parvient, enfin, à se latter la cheville convenablement. 

Heureusement, avant d’être un trailer passable, Le Père a été un piètre basketteur, période dont il conserve 15 entorses, réparties sur 2 chevilles, pour ne pas faire de jalouse (enfin, presque). C’est donc avec facilité qu’il peut s’entorser les chevilles. Avantage : malgré l’entorse, il peut continuer en faisant un peu gaffe, surtout à chaud, pendant un certain temps… Surtout si le sol consiste en une route plate et sans surprise… Ok, ça pique, mais c’est vivable et tient éveillé ! 

Tu l’as compris, lecteur féru de biologie et de météo, là, on n’est plus sur du terrain de merde rendu glissant par les intempéries des dernières heures. Il en faut heureusement plus pour entamer la bonne humeur et l’entêtement du Père qui poursuit son chemin en fredonnant du Beethoven… Je déconne, il jure et s’insulte pour continuer, comme d’habitude ! 

Lenk, dernier ravito. Le Père en a un peu ras le bol, mais se dit qu’il ne va pas claquer à 2m du bol de sangria et qu’il faut juste passer la dernière bosse, merde à la fin, bouge ta couenne, t'as payé ! 

Donc il repart, malgré des rumeurs entre coureurs : le sommet est craignos, un passage est super dangereux et rendu glissant par la neige, certains n’osent pas emprunter ce chemin, etc… Le Père est surtout fatigué, il tient de moins en moins debout et commence à ne plus être totalement étanche. Au ravito dans la montée du Rawipass, Le Père s’arrête sous la tente / ravito, s’équipe pour avoir le plus chaud possible et s’endort sur une chaise de jardin bancale… 

Réveil 22min plus tard, il grelotte, comme souvent au réveil, recharge ses bidons en urine de mangouste (appellation amicale pour les électrolytes qu’il consomme) et repart. Oui, mais maintenant il a froid ! Donc l’entorse est froide, du coup, on la sent vraiment ! 

Le Père serre ce qu’il peut encore serrer et suit un coureur puis une coureuse qui a peur de passer par ce sommet seule. Après un moment, Le Père les dépasse et avance. Il franchit le col seul et commence la descente sur le dernier ravito situé sur le barrage de Tseuzier. Malgré la pluie et la fatigue, le décor minéral est incroyable et il regrette son appareil photo ! Pour parfaire sa bonne humeur et le tirer de ses contemplations, il se retord 2-3 fois la cheville dans la descente (en fait, ça glisse toujours… et il est fatigué, donc moins affuté) et morfle passablement. Le plat le long du lac lui paraît interminable, malgré tout, il trottine quand il le peut, jure copieusement, mais trottine. 

Il rentre dans le ravito de Tseuzier. Des coureurs sont assis, au chaud. Dehors il pleut et personne ne veut repartir, tout lui hurle de s’assoir et de dormir. Il prend juste un peu de coca et de l’eau et ressort en répétant une phrase de Victor Hugo qui lui donne du cœur à l’effort… 

Longue descente et il arrive au bisse, emprunté au début de la montée… Allongement de la liste des jurons : le bisse a été taillé pour des pygmées adolescents atteints de nanisme maladif : Le Père doit parfois évoluer plié en 2, le haut du corps au-dessus du vide, ce qui le met, encore une fois, de mauvais poil. 

Comme tout bon stratège, Le Père a déjà changé de mode : il est maintenant en version : tu cours aussi vite que tu es bête, on passe la ligne en courant ou sur un brancard ! Et c’est ce qu’il fait, quand il parvient à courir… C’est donc avec une avance confortable sur ses prédictions les plus folles qu’il passe la ligne en 23h23… Naturellement, cette performance n’est pas due à ses qualités sportives ou à sa pugnacité, mais aux qualités de son coach ! 

Le médecin lui fait un tape pour qu’il regagne son hôtel dignement, et il attend son collègue. Quand celui-ci s’effondre après la ligne d’arrivée, Le Père lui dit : 

- tu feras gaffe, je crois que tu as une tache de boue sur ton pantalon ! 

Malgré la douleur, son pote éclate de rire, il est brun des pieds à l’épaule : 

- Eh ! T’as pas vu l’autre tenue… Là, je me suis changé !

Il rajoute : 

- Quel sport de merde, faut que j’arrête ces conneries !  

C’est donc, tout naturellement, sur le ton de la plaisanterie que Le Père lui adresse un message goguenard quelques semaines plus tard au moment des inscriptions pour l’UTMB. En effet, le système UTMB veut qu’on participe à quelques courses qui donnent des « stones » (sont français, ils ne pouvaient pas dire des pierres ?!) qui donnent plus de chance d’être tiré au sort… Et sans stone, pas de tirage au sort du tout, nah ! 

A la grande surprise du Père, son pote lui répond qu’il est préinscrit et attend le tirage… Le Père ayant juré de ne plus jamais faire une telle distance, et n’étant pas un branle-panneau, met quelques jours à s’inscrire, mais finit par le faire bêtement, en se basant sur le raisonnement éprouvé (déjà 2 fois, pour ce qui est du Père) : je ne suis pas prêt, je suis trop lourd et n’ai pas fait assez de dénivelé, mais ce n’est pas grave, je ne serai pas pris cette année, ce qui tombe bien, j’aurai plus de probabilité d’être pris pour 2024, l’année des 50 ans du Père ! Que la nature est bien faite quand elle collabore et concourt à votre bonheur ! 

Donc lorsque son pote lui envoie un message en lui disant : 

- @#§% !? Je ne suis pas pris !!!! 

Le Père a oublié et n’est pas super au taquet. Pris d’un petit doute, il checke par acquit de conscience ses emails de pub pour l’UTMB, pubs qu’il ne regarde jamais… Hoka, Julbo, Draft positive, les favoris, l’écologie,… 

HEIN !? Draft positive ?! 
Pas encore !?!?!? 

Ok, donc Le Père est définitivement maudit des glandes et des tirages au sort : quand il veut être pris ou gagner (par exemple à l’euromillion), à marche pas, mais quand il ne veut pas être pris, 100% de succès ! Même la nature et le hasard le détestent… 

Donc il annonce à Madame qu’il va être un brin occupé le weekend du 1er septembre, recontacte son coach et annonce à son ami qu’il y sera… Il passe ensuite dans sa salle de bain insulter sa balance. Ca ne sert à rien, mais ça détend. Il hésite à entamer l’approche d’un pote : 

- Non moi, le poids ça a pas trop bougé… 
- Pfff chais pas comment tu fais 
- Ben, je ne me pèse plus 
- Ah oui, forcément, si c'est scientifique… 

La saison est donc lancée : au programme de cette année : Montreux (avancé à début juin, la merde !), puis l’Ultraks de Villars avec Madame et UTMB pour finir l’année en beauté. Compte tenu de ses performances avec son coach, Le Père est confiant dans ses capacités à battre son précédent temps, surtout qu’il a lu Kiki (écrit par les Genoux dans le Gif) ainsi que La Vie Courante (François D’haene), donc il vise 23-24 heures max… 

Je déconne ! Le Père aimerait bien passer sous les 40 heures, mais il y a du boulot et il faudrait pour se faire que les astres s’alignent… 

Arrive Montreux… Une météo joviale, agrémentée de légères précipitations est annoncée… Le Père hésite entre ses chaussures à crampons xxl, peu confortables et qui vont probablement lui coûter 2-3 orteils ou ongles, et les Salomon super confortables, mais avec tenue un peu trop light et accroche passable lorsqu’il s’agit d’entamer un bain de boue, un terrain un peu gras, comme on dit en trail, des conditions de merde, comme on dit en vrai. 

Il tranche pour le confort… Bus jusqu’à Bex, le départ est donné le soir, ce qui est aussi plutôt positif pour Le Père que la nuit ne dérange pas (au contraire, et le frais le favorise…), le parcours a dû être amputé de la partie haute à cause de la neige… Bon, comme c’est de nuit, on n’aurait de toute façon pas eu la vue de l’aube au-dessus de la cabane de la Tourche… 

Briefing, puis cornemuse jusqu’au départ et on y va… sous une légère pluie. Ca monte, le cœur du Père va trop haut, il jure mais ça va. Arrive la première descente… 1 cm de boue, Le Père est incapable de courir, glisse tout le temps et passe hors du chemin dès qu’il peut. C’est donc bien en retard par rapport à ce qu’il voulait qu’il commence son tour de l’Argentine (la montagne, lecteur géographobe, pas le pays !) pas content et ça ne va pas mieux. La descente sur Solalex est dans une brume à couper au couteau, tout glisse… Des frontales montent vers Le Père… 

- Euh, il n’y a plus de drapeaux !? 
- Ah… mais c’est quand-même le chemin, je suis passé les 3 dernières années et ai chargé le parcours sur ma montre… Quelqu’un a dû virer les fanions, ça m’est déjà arrivé il y a 2 ans au sommet de Berneuse… 

Ça continue de plus belle, toujours sous la pluie, dans un terrain qui se dégrade progressivement, labouré par les coureurs passés avant Le Père. Montée au grand Chamossaire, la montée ça va encore mais la descente est un calvaire : trop raide et glissante, Le Père ne peut pas passer à côté du chemin (falaise) et après avoir perdu beaucoup de temps dans la partie la plus raide, il commence à être rattrapé par les coureurs de la 75km… les premiers, donc, qui passent comme des balles. Plus la descente avance, plus il perd de temps, à laisser passer des coureurs, les voir tomber, voir des bâtons casser, se casser la tronche lui-même. 

Il n’arrête pas de se répéter : ça sert à quoi ?! Si j’arrive à la base de vie (le Sepey), même en changeant de godasse, la suite sera pourrie et il y aura tout autant de coureurs qui seront passés avant moi… Il arrive au ravito du milieu et abandonne, pour la première fois sur cette course. C’est dur, mais il ne voit pas comment faire autrement. 

Arrive Villars… Le Père est assez serein : il n’est pas là pour lui : il vient supporter Madame ! No 1, 2 et 3 se sont proposés pour faire les bénévoles, ils dorment dans un dortoir au-dessus du pc course et se lèvent tôt pour aider. Le Père, comme à son habitude, est tellement à la bourre que Madame n’a que 2 minutes pour passer aux toilettes avant que le départ ne retentisse ! 

La montée commence tout de suite, Le Père et Madame sont les derniers à passer la ligne. Ils partent gentiment, la journée va être longue et bosselée. Doublage de quelques personnes, première descente, on approche de l’Argentine dont on fait le tour dans le sens habituel. Une fois le tour terminé, il y a une très légère remontée (de sa race) à Chaux Ronde. On a un peu d’avance sur la barrière (30 min ! Ajoute Madame). Après Taveyannes, sur un plat avant la montée vers le col de la Croix, une voiture nous double et s’arrête au niveau des bénévoles qui sont au pied de la montée. Lorsque nous arrivons, ils sont en train de ramasser les fanions ?! 

- Eh, on a encore le temps !!! 
- Oui, ne vous inquiétez pas. Comme vous êtes les derniers, les autres ayant abandonné, nous allons ramasser les marquages… 

La montée est raide et il fait chaud, mais on avance bien. Ravito. Madame retrouve une amie, qui fait le balais. Elle repartent ensemble, confiantes que Le Père les rattrapera. Il finit de se sustenter et repart, suivi par 2 schtrumpfs qui ramassent les marquages. Il accélère pour les laisser un peu plus loin et rattrape Madame qui est fâchée (et triste) par sa dernière place temporaire. 

Nouvelle montée, on rattrape des gens que l’on dépasse et on continue à un bon rythme. La Mère est fâchée et souffre du genou, elle veut en finir et râle un peu. 

Dernier ravito et dernière montée, le Chamossaire (encore !? Oui, mais dans l’autre sens cette fois ! Ah, ok, ça va alors…). On croise l’artiste Saype qui a peint un enfant qui lit en géant sur la montagne... Pas sérieux, il aurait pu peindre un trailer qui en chie dans une montée, ça aurait été plus crédible ! Madame finit la montée, a la haine et en a marre, et on commence une longue descente, parfois très raide, pour rejoindre l’arrivée. Madame n’est pas dernière, les punks sont là, tout finit bien ! 

Dans la voiture du retour, les punks discutent… Le 15e des 20km n’avait pas l’âge minimum pour courir la course… Ni la première fille, sa sœur. Puis ils causent des derniers (dépassés par Madame et Le Père lors de la dernière descente) du 20km qui marchaient et ont mis longtemps. 

- En fait, je vais le faire l’année prochaine… 
- Faire quoi ?! 
- La course ! 
- HEIN ?!?!?! 
- Non, mais que les 20km… 
- Ok, je le fais aussi ! répond sa grande sœur 
- Bon d’accord, je le fais avec vous, annonce no3 ! 
- !?!?! 
- Euh, vous réalisez que vous ne courez pas… Aucun de vous, même pas à plat ?! 
- Oui, mais on a une année… et dans les montées, on ne court pas de toute façon. 
- C’est pas faux… 

Le Père sourit, Madame est fière… Puis Le Père réalise qu’il ne pourra donc pas rerereretenter L’X-Alpine en 2024… Ni l'Eiger, ni plein d'autres courses, et qu’il va devoir vendre 2 ou 3 de ses autres enfants pour payer 5 finances d’inscription pour le Villars Ultraks 20km… 5 ?! Ben oui, les 3 punks et les parents, on ne va pas les laisser seuls dans la merde quand même ! 

Le repos consiste en quelques jours de vacances en famille à la Tzoumaz, dans le même chalet, avec jacuzzi, que l’année précédente : des marches et une sortie du Père qui rentre de Verbier à la Tzoumaz en courant, surtout la descente avec no 2 et 3 qui attendaient au sommet des pistes (Madame ayant sympathiquement ramené les autres au chalet par télécabine). Quelques jours bien agréables (attention, lecteur peu familier des familles nombreuses, Le Père n’a pas dit calmes et tranquilles) qui font du bien au moral. 

L’été se poursuit, Le Père s’entraîne, est toujours trop lourd. Il fait chaud, beau ; plus le temps avance, plus un de ses genoux lui fait mal de temps à autre, quand c’est chargé. Il en parle au coach, mais comme la douleur passe assez vite après les sorties, il n’y prête pas plus attention que ça. Suite à Montreux, il cherche une paire de chaussure avec un vrai relief, mais confortables… Ses Inov8 sont un poil courtes, ses Scott beaucoup trop courtes (un gros orteil perdu lors du Wildstrubel, enfin l'ongle) donc il cherche toujours la solution miracle. Les magasins et sites n’ont soit pas sa taille, soit les modèles ne sont pas les bons. Il finit par trouver un bon compromis : les Saucony Peregrine 13 ST : 6.5mm de crampon, 4mm de drop, une sorte de chausson à la Salomon Trail Pro mais avec une tenue plus ferme, mais un poil moins confortables et… un poil courtes également. 

Comme il s’y est pris à l’avance, les chaussures arrivent 2 semaines avant la course, il a le temps de faire 30km avec. 

Arrive la semaine fatidique. Il a commencé à préparer son sac et sa valise un peu avant, pour une fois… Mais finit en catastrophe, comme il se doit, par tasser tout ce à quoi il pense et ce qui est sur sa liste dans 3 sacs et il part pour Chamonix. L’ambiance y est folle, la première équipe de la PTL arrive. Il va au village, doit donner des chaussures de Madame pour que Vibram y installe leur nouvelle semelle de la mort, passe dans une librairie pour faire dédicacer par François D’Haene son livre. 

- Tu cours demain ? 
- Oui, je pense faire dans les 23-24 heures vu que j’ai lu votre livre ! 
- Ah, ah, ah, bonne course en tous les cas ! 

A l’hôtel, Le Père commence ses 3 tas : celui qu’il prend avec lui dans son sac, ses habits et son sac qui attendra au milieu… Là il réalise qu’il a donné le mauvais sac à son collègue qui va lui faire l’assistance à La Fouly et qu’il n’a pas assez de compotes pour le sac du milieu ! Passage en ville pour racheter de la potion magique. 

Le Père met beaucoup de temps et hésite à se faire un pense bête pour Courmayeur, la base de vie : rien oublier quand on est seul et fatigué c’est important… Bah, pas besoin, je sais ce que j’ai à faire ! 

24 tentatives pour faire rentrer une paire de chaussures et tout ce qu’il veut avoir à Courmayeur… Le sac ressemble à un boa nain qui aurait tenté de bouffer un rhinocéros… Les coutures sont aussi tendues qu’un string XS rose sur le derrière de Mike Tyson à sa grande époque et menacent de lâcher. Le Père passe pas mal de temps à tout re-contrôler et se couche à 3h35 du matin… 

Ça fait une semaine qu’il ne dort pas trop… Là c’est la veille de la course. Il est confiant : « c’est quasiment tout prêt, demain je me lève, je vais chercher le dossard et récupérer les chaussures de Madame et je fais une bonne sieste après avoir mangé… ». 

Réveil tardif, il branche ce qui doit l’être (2 frontales et les batteries, la montre au dernier moment), perte de temps pour aller chercher le dossard et racheter 2-3 trucs qui manquaient (encore !), finalisations des tas et sacs, enfin, préparation de tout et et repas.. Plus d’une heure pour manger un plat de lasagnes, il peut enfin rentrer à l’hôtel alors que des coureurs attendent déjà dans la zone de départ… 

Il finalise ses préparatifs pour la 6ème fois, refait encore le sac pour le milieu (Courmayeur) pour faire tenir les compotes supplémentaires, les câbles et autres batteries, sans faire péter ledit sac, perdant au passage 12h de vie, ainsi que son accès au paradis en raison des jurons (ok, sur ce plan, c’était déjà cuit, mais merde à la fin, pas la peine d’en rajouter !). Lorsqu’il s’allonge sur le lit, impossible de dormir les 30’ qu’il lui reste. Il se repose et essaie de se détendre. 

Vient l’heure de s’équiper. Le Père fait les choses méthodiquement, dans l’ordre. Cela prend naturellement plus de temps que prévu, mais comme il prévoyait de partir à 17h-17h15, partir vers 17h20 est probablement un exploit pour lui. Il part de son hôtel, après un mot à la réception pour leur dire de ne pas l’attendre, va poser son sac pour la base de vie et se dépêche d’aller dans la zone de départ… 

On ne peut pas approcher de l’arche, ni même la voir : Le Père est sur le côté, avec ses 2'653 petits camarades. On se regarde en attendant le départ. Le Père finit de s’équiper, enfile ses manchons, nettoie ses lunettes, finit de boire sa bouteille d’eau pré-départ, s’assoit pour ne pas trop s’user plus et regarde ses condisciples se préparer… Certains sont calmes, le stress et la tension monte chez d'autres, des rires et des larmes, une ambiance.

Place de l'Amitié, l'arche de départ est à gauche 40m après l'angle de la maison

Le folklore habituel le laisse de marbre (Le Père a passé l’âge de taper dans ses mains aux ordres d’un speaker), à quelques minutes du coup de feu, il s’approche un peu de l’aire de départ. La tension monte, l’émotion est palpable, même pour Le Père. Soudain un cri : 

- Un médecin !!! 
- Eh, l’infirmier ! Appelle l’infirmier ! Par ici ! 

Il semblerait que malgré une bonne année de préparation, probablement des kilomètres pour venir à Chamonix, une coureuse soit tombée dans les pommes à moins de 2 minutes du départ… 

L'homme de la Pampa parfois rude reste toujours courtois mais la vérité m'oblige à te le dire, jeune lecteur sensible et émotif, quand retentit Vangelis Conquest of Paradise, Le Père a un peu la chair de cocotte et les larmes aux yeux… Bon ça ne dure pas car le départ est donné, donc… 

Il ne se passe rien ! 

Ben oui, plus de 2'600 pelés pressés qui avancent dans les rues d’une petite ville, ça fait juste un bouchon ! Le Père est déjà en train de jurer : en 2021, il y avait 3 blocs : les élites, puis départ à 17h30 et Le Père était parti à 18h… Alors tu imagines bien, lecteur ingénieur, qu’à ce moment-là, ça bouchonne sérieux. 

Le Père passe sous l’arche au pas… et marche quasiment jusqu’à la sortie de Chamonix… Il a pensé à lancer l’application pour que Madame et ses potes le suivent, lancé sa montre, mais oublié de démarrer la balise qui se trouve dans son sac… Oubli qu’il mettra 12km à remarquer… Oui ben merde, entre l’émotion, le départ, les bouchons, on ne peut pas être partout ! 

Donc, on perd déjà 10 minutes dans Chamonix et Le Père se dit que ça va être long… 8 km plus ou moins à plat, portés par une foule en délire (avec des gars qui proposent des bières, d’autres qui chantent, et hurlent. Mon préféré : celui qui brandissait une pancarte : tout le monde sait que la TDS est plus dure que l’UTMB ! Le Père regrette que personne n’ait pensé à refaire une pancarte comme celle vue sur le marathon de Genève : Chuck Norris n’a jamais couru le marathon de Genève !), avec des bouchons réguliers (chaque fois que le chemin se rétrécit) et on commence la première montée. 

Il y a des siècles (3 jours environ) Le Père, en discussion avec Le Coach, a devisé d’une stratégie imparable pour lui permettre d’évite de faire une Prigogine (explosion en vol après Courmayeur) : garder son rythme cardiaque sous 130 pulsations / minute… Donc rester en endurance de base pendant les premières heures… Or, sous l’effet de la fatigue, Le Père qui oscille en temps normal, sur du plat, entre 114 et 120, se trouve, dès le début, proche des 130… Dans la première montée, même en marchant sans s’énerver et sans doubler trop, le cœur monte et Le Père peine à rester sous les 135-140. 

Pour améliorer la bonne humeur du Père, après les bouchons, son rythme cardiaque qui ne va pas comme il le souhaite, la première montée pour le col de Voza le voit avoir des crampes… Si tôt ?! Ok, pas de stress, Le Père prend une dose de magnésium… Qui peine à faire effet !? Pas bon ça… En plus Le Père s’aperçoit qu’il a faim !? Petite réflexion… Ok, pas mangé ce matin, donc pas eu ses œufs et protéines, mangé 4 heures avant le départ, mais juste une lasagne format restaurant (donc pas de quoi raviver un punk de mauvais poil). Le Père étant chargé comme un porte-avion sort des graines et prend une compote. Il passe le col en 1’930ème position… 

Première montée, vendredi fin de journée

Arrivé au ravito de Saint-Gervais, 21,6km. Le Père a prévu de ne pas perdre trop de temps. Il repart ayant rempli ses bidons et mangé un peu. Il a déjà plus de 17 minutes de retard sur 2021, entre la fatigue et les bouchons, là où il espérait avoir 5 minutes d’avance sur son ancien temps. Bon, pas de violence, c’est les vacances ! Le Père jure un peu, mais il reste pas mal de chemin jusqu’à Chamonix et il peut se passer pas mal de choses… Il va remonter tout le monde et choper les Ricains partis trop vite ! 

Ok, je déconne… A cette heure-là, ils sont probablement déjà au col du Bonhomme ou plus loin ! Le Père pointe en 1’721ème place… 

10km plus loin, le ravito des Contamines, 20’ de retard, on a déjà fait 1’516m de dénivelé, plus que 8’500m… et 140km et on y est ! 1’716ème, l’espoir est permis. 

Passage par le tunnel de lumière ! Joli car inutile, mais joli... Ca doit plus claquer quand tu passes dans les premiers, mais c'est une attraction...


Le tunnel de lumière

La vraie montée commence. Dans la nuit, le serpent de frontales avance vers le ravito de La Balme. Le Père a repris un peu et n’affiche plus que 12’ de retard sur 2021. Photo, ravito, appel à Madame et il reprend la longue montée pour le col du Bonhomme, puis le refuge de la Croix du Bonhomme. 2’896m, 45,7km, il fait nuit et le sol est bien mouillé. Le Père a perdu du temps entre le ravito et le sommet et a de nouveau 22’ dans le pif. Au sommet, il est 1’639ème, Wamsley tremblerait s’il savait qui est Le Père... et n’était pas si loin ! 

Ok, la photo n'est pas top, mais c'est la nuit... et tous ceux-là sont derrière !

La fatigue se fait sentir, on perd du temps à la montée et à la descente car des coureurs sont mal équipés côté chaussures. Le Père sent ses orteils, mais tient debout et a une accroche très convenable sur la plupart des sols. Il se félicite pour le moment de ce choix judicieux… 

Bref, malgré de copieux jurons, quelques dépassements sportifs et acrobatiques, il arrive au Chapieux avec 24’ de retard, en 1’593ème position. Le Père est crevé et veut dormir 20’. Ca va lui donner de l’énergie pour le col de la Seigne et après il fera jour… Il essaie de monter se coucher, mais après 15’ abandonne. Arrêt toilettes, ravito et il repart… en ayant perdu quasiment 54’. 

Entre la fatigue et l’heure tardive, la montée suivante pique. Pas mal de coureurs asiatiques surprennent Le Père : ok, il fait nuit, moins chaud que pendant la journée, mais nous nous apprêtons à monter de 1’100m, donc ça va se rafraîchir forcément… Or ils s’équipent de leur couche chaude et certains ajoutent même la couche étanche. Sans surprise, à l’approche du sommet, alors qu’un joli vent nous donne un ressenti bien frais, ils sont en détresse ! Certains sortent la couverture de survie et s’emballent dedans. Sachant que la montée fait chauffer les jambes et le reste, normalement une simple couche chaude, vers le haut de la montée, suffit. Le Père se demande comment ils se sont préparés… 

Le Père décide de tricher : il met un écouteur et lance la playlist de la mort ! Il Passe le col de la Seigne en 1’965ème position, du fait du temps perdu au ravito (depuis le ravito, il n’a pas été trop dépassé). 61.3km, 3’966m, 58’ de retard. Si Le Père ne dort pas au lac Combal, il va rattraper ces 50’… mais comme il n’a pas dormi, c’est pas le meilleur set up. 

Dans la descente du lac Combal, malgré la beauté du paysage, il commence à sentir sérieusement la fatigue et surtout ses orteils… Le sommet et la descente sont un peu compliqués à cause de la boue et du sol mouillé. On devine les pyramides calcaires mais des nuages les cachent en partie. 

Le ravito du lac Combal est en bas, le long du chemin tout droit à droite de la vallée

La vue lors de la descente sur le ravito du lac Combal est toujours phénoménale ! Arrivé au ravito, il part directement se coucher et dort 22’. Remplissage des flasques et on repart vite ! Il est arrivé en 1’897ème place, avec 1h06 de retard. Il repart avec la pêche : le sommeil l’a requinqué ! 

Après le ravito du lac Combal. On vient de la bosse d'en face...

Il marche un peu avec le légionnaire (un gars avec un casque romain et une cape sur laquelle figurent ses exploits passés : Swisspeaks 360, plusieurs 170km, le Tor des Géants… pas un Mickey !). 

Le légionnaire et son palmarès écrit sur sa cape...

Le Père flambe pas mal de monde dans la montée à l’arrête Favre : il a dormi, est de mauvais poil du fait de son timing, a mal aux pieds et n’est pas du matin ! 

Au sommet, il demande aux officiels de la course : 

- Vous avez du tape ?! 
- Qué cosa dichi ?! Tapé ?! 
- Scotch ? (Le Père s’étonne lui-même de sa patience polyglottique !) 
- Ah, si ! Scotch electric ! 
- Oui, m'en fous, fait voir ! 

Sous les yeux écarquillés des 3 pelés, Le Père se fait 3 tours de scotch sous le genou droit… 

- No, va té faire une garrotte !!! 
- T’inquiète pas pour la carotte, quand la jambe tombe, je l’enlève, promis ! 

Sans se retourner, Le Père entame la descente laissant l’Italien dubitatif. Avec l’arrêt au Lac Combal et malgré la remontada, Le Père est maintenant 2’038ème, 72,3km et 4’729m de dénivelé. 

Au ravito de Checrouit, Le Père prend un peu des délicieuses pâtes avec de la sauce tomate… et repart 5’ après en 1’949ème position, son retard a diminué à 47’. 

Descente raide sur Courmayeur, les pieds se font sentir fortement. Selon son plan, Le Père devrait éviter de perdre plus de 45’ à la base de vie. Il y parvient à 17h44 de course (il voulait en sortir à 16h50 de course, donc il est un peu grognon), récupère son sac qui est plus lourd que 2 punks, va trouver une place, se ravise et va se faire masser et taper le genou. Les physio connaissent le magicien que Le Père fréquente habituellement pour se faire réparer / préparer. 

- Euh, vous avez fait un garrot là ?! 
- Non, c’est tendu que sur l’avant… 
- Ok, ça va piquer, vous voulez que je vous rase le genou ? 
- Si ça tient mieux… Sinon ça fait déjà 20km que j’ai mal aux cloques et au genou, alors… 
- Désolé ! 
- Faut pas… je paie pour ça. 

Ça masse les jambonneaux et il faut dire que ça pique pas mal… ça réveille ! 

Le Père remercie et prend son sac pour aller faire son ravito. Le plan est le suivant : mettre à charger le téléphone, la mini-batterie, une frontale et la montre… Le Père branche son téléphone, la batterie, deux batteries de frontale. Il sort son matos de son sac. 

"Je fais quoi… Je change de godasse pour les Salomons qui sont super confortables, mais n’ont pas d’accroche ? Bah, la douleur est supportable, de toute façon c'est dans la tête et je ne sais pas si l’accroche sera suffisante… Reste le col de la Forclaz et surtout le grand col Ferret qui peut être bien merdique… 
Ok, je garde et change juste le tee-shirt, de toute façon t'as pas besoin d'orteils pour courir !" 

Le Père remplit son sac de compotes, change sa couche chaude, mais rien d’autre. Il mange un peu, prend du citron sur conseil des physio pour faire passer les crampes. Mais ça traîne, il a dépassé les 45’ qu'il s'était fixé… 

Le Père s’insulte et se tance : "bouge ton c*** bordel !!", replie tant bien que mal et essaie de tout faire re rentrer dans le sac de ravito bouffi. Quelqu’un annonce que la barrière approche. 

19h06. Le Père quitte la base de vie en ayant posé son sac. La barrière est à 19h15 de course… Il est 2’145ème, fâché, 81.8km et 4’754m…34’ de retard, 1h21 passée à Courmayeur. 

Oui, mais il est 13h, le soleil tape, Le Père est fatigué et une montée de bâtard l’attend… Musique et dents serrées, il avance, sans trop réfléchir… Il essaie d’aller aussi vite que ce qu’il est bête, mais cette fois, ça ne va pas aussi bien qu’il le souhaite. Sans se mettre dans le rouge, il continue et arrive au ravito du refuge Bertone en 1h42. 

Ah… Etre un ami des plantes et des koalas, pas de souci, lecteur vécolo (végane + écolo)… Il y a cependant des limites à la tolérance du Père ! L’UTMB veut diminuer son empreinte écologique et c’est louable… De là à remplacer le coca par un ersatz à base de pepsi (mal) gazéifié et qu’on laisse perdre le peu de gaz qu’il lui reste dans des cruches, je dis NON !!!!!! 

Donc, à Bertone, Le Père demande où sont les toilettes… 

- Au restaurant ! 
- OK... je dois redescendre ?! 

A ce stade lecteur empathique, tu sais que dans cette dernière remarque du Père, le bénévole peut sentir distinctement, voire entendre : 

- ça vous aurait fait ch*** de mettre un panneau ou une indication à cet effet pour que je n'ai pas besoin de monter et redescendre, merde !?!?! 

Par amour de son prochain, et surtout parce qu'un séjour, même bref, en prison pour un léger homicide pourrait le mettre encore plus en retard il garde cette remarque pertinente pour lui, songeant brièvement à un film positif et inspirant : Le silence des agneaux... 

Il redescend de 50m et en profite pour acheter 2 vrais cocas qu’il boit sur la terrasse. Que la vie est agréable, assis au soleil !

Après 34 minutes perdues, il repart pour les tralalas avant la descente sur Arnouvaz… Il avait oublié qu’il y avait quelques montées dans ce passage, dont celle du refuge Bonatti (2’100ème). Que quelques mètres, mais ça fait toujours mal. 

La barrière horaire est à 24h15 de course. Le Père commence à stresser, à l’approche de la dernière descente sur Arnouvaz… C’est galère et le temps passe. Les orteils piquent et Le Père a peur de se choper la barrière dans la tronche. Soudain, un kangourou le dépasse… Pas l’animal, lecteur naïf et biologue, un Australien ! Celui-là a le feu au derrière et Le Père, sans réfléchir, se met derrière lui et commence à courir. Ils doublent tout le monde dans cette descente et arrivent au ravito. 

23h52 de course, 2’043ème, 99.7km et 5’997m. En 20’, Le Père fait comme il peut, remplit ses bidons et mange du bouillon avec un peu de riz. Il ressort du ravito à 3 minutes de la barrière !!! 

Il avance un peu et avant de commencer la montée vers le grand col Ferret, il s’assoit sur un rocher pour finir de manger et envoyer un message à Madame pour lui dire de ne pas l’attendre, il n'y a plus aucune chance qu’il ne parvienne à La Fouly dans les temps… 

Oui, Madame est allée, avec certains punks, le matin même au col de la Forclaz pour accueillir Courtney et voir passer les premiers, avec l’équipe des genoux dans le Gif (les gars déguisés en tube de dentifrice et en brosse à dent). Photos de la folie et souvenirs XXL pour les punks ! Puis elle est allée au lac d’Emosson qu’elle n’avait jamais vu. Le but était de s’occuper et d’éventuellement aller voir Le Père passer à La Fouly. Là c’est foutu, il sait qu’il lui faut 1h45 pour atteindre le sommet et qu’il reste encore un bout après pour arriver à la Fouly. 

Au passage, Le Père remarque qu’il est avec les morts-vivants : un gars vomit par jets, appuyé à un panneau. Le Père se lève et part. Il dépasse l’Américaine Amy qui court avec une prothèse en carbone (comme si ce n’était pas assez dur avec 2 jambes !?) et commence sa montée.

Le Père regarde sa montre une fois de plus et s’aperçoit que sa montre est à moins de 25% de charge… AAAHHHHHHH !!!!! Comment il a pu oublier de recharger sa montre !!!!!! C’est pas possible d’être aussi mauvais !? Pas le temps de se flageller avec des orties ou des ronces… 


C’est long, mais passé par là il y a quelques semaines, il connait et ça rend la chose presque supportable. Grand col Ferret, 1’973ème, 104.1km, 6’763m… 26h11 de course 32’ de retard, tombée du jour. 

Descente sur la Fouly, pas totalement désagréable. Malgré les pieds qui le font souffrir le martyr, Le Père peut courir. Il sait que son assistance l’attend !!! 

1’894ème, 27h55 de course, 30’ de retard sur 2021, 6’845m de dénivelé… 

Ok Le Père prend une minute pour remercier Antoine, qui se reconnaitra, et dont l’intervention et la présence ont contribué à ce que Le Père finisse… Il le retrouve sur la route peu avant le ravito. 

- Ça va ? 
- Non, comme je t’ai dit, pieds détruits, fatigue et crampes… vais aller au ravito et dormir ! 
- Ok, je ne peux pas rentrer dans le ravito, mais je t’attends devant 
- Ok 

Le Père rentre dans le ravito et demande où il peut dormir… 

- À Champex ! 
- Hein ?! 
- Sinon, tu mets tes bras sur la table et tu dors dessus ! 

 Il règne dans ce ravito un bruit insupportable, comme quand les 6 punks sont surexcités et se chauffent. Le Père prend 2-3 choses à manger et ressort du ravito. 

- Tu m’as parlé d’un abri ? 

Antoine a trouvé un abri bus avec des bancs. Le Père s’allonge pendant qu’il va lui remplir ses flasques et faire son mélange. Il n’arrive pas à s’endormir et commence à se rééquiper. Compotes, compotes et compotes. 

- Je t’ai mis les 2 batteries dont je t’ai parlé… Mais désolé, pas de câble Garmin… 
- Pas de souci, c’est moi qui ai merdé ! Bon, il va falloir que je me bouge la couenne… 
- Ok, tu veux que je vienne à Champex ? 
- Non, t’embête pas, je vais dormir et repartir, ça sert à rien… Tu vas juste perdre des heures pour accéder pour quelques secondes. Rentre chez toi ! 
- Ok, t’es vraiment sûr ? 
- Yes. 

Le Père repart, le ravito est fermé (barrière horaire passée), ça descend. On passe un peu plus loin une jolie rangée d’arbres qui nous fait une haie d’honneur. Troupeau de racines en liberté, Le Père fait gaffe à ses chevilles. Il double deux jeunes et poursuit sa route. Plus loin, il double des Asiatiques dont certains s’allongent le long du chemin pour dormir, parfois sans éteindre leur frontale… 

A un moment, un groupe se rapproche du Père… 

- Ne vous inquiétez pas, on reste derrière… On est la voiture balais ! 

Là, il est un peu tard pour se mentir, lecteur philosophe… Le Père se réveille un peu. Il a déjà fait plus de 120km, ce n’est pas pour craquer à 2m du bol de sangria ! Il oublie ses pieds et commence à se bouger sérieusement pour distancer ces fâcheux ! 

Il y a énormément d’Asiatiques, dans cette édition… Ou alors ils ne sont pas rapides et Le Père se retrouve avec eux… Il en dépasse plusieurs, distançant la voiture balais. Bref, ça continue et tout le monde arrive à la montée qui mène à Champex. Une montée raide, mais Le Père ne souffre pas trop, il commence à s’inquiéter de la prochaine barrière… 

Champex, 31h53 de course, nous sommes dimanche matin, le départ a été donné vendredi à 18h. 1’852ème, 127.6km et 7’377m, 42’ de retard. Là, il faut en finir… 

Le timing semble trop short pour Le Père, il décide de ne pas dormir. Pourtant d’après le site de l’UTMB, il a passé près de 26’ au ravito… Mauvaise gestion du fait de la fatigue ? Une assistance aurait finalement pu aider… On est toujours plus malin après ! 

En sortant du ravito, on longe le lac de Champex… L’arrosage automatique public inonde le trottoir, un officiel nous fait passer sur la route, indiquant en anglais pour que tout le monde comprenne… Deux Asiatiques passent outre et continuent sur le trottoir, se prenant une première douche bien fraîche (il est 2h15 du mat et pas en plaine), mais poursuivent un moment sur ce trottoir avant de rejoindre un terrain sec… Le Père est fasciné par les quelques coureurs qui font de même… 

Petite descente et remontée vers le col de la Forclaz. Pas mieux, mais toujours vivant. Le paysage est joli, on oublierait presque que la douleur est partout et que le sommeil manque (fait défaut)… Arrivée à la Forclaz comme Courtney… enfin, presque un jour après, sans la foule en délire, sauf quelques vaches… 

- Oh, fais pas ta malinoise la biquette, sinon on mange du tartare ce soir ! 

Le Père s’engage sur le chemin du bisse et finit par prendre l’embranchement qui mène, en descente très très très raide sur le ravito du Trient. C’est long, les cloques piquent, il a mal partout et n’arrive pas trop à courir. Il perd du temps, mais n’a plus vraiment l’énergie pour jurer… 

Trient. 37h39, 1h11 de retard, 143.8km, 8’214m, 1’795ème. Le Père arrive au ravito, il ne reste pas assez de temps pour traiter une cloque, ni pour dormir. Il s’assied, remplit ses bidons en faisant son mélange d’urine de mangouste, enfin son électrolyte. D’après le site, il y perd 17 minutes, ce qui semble énorme. Le Père repart à 3’15 de la barrière. 

La première partie de la montée semble identique à la descente : ça pique. Mais Le Père avance, il essaie d’aller aussi vite qu’il est bête… Enfin, à ce stade, c’est plus son legging et ses godasses qui avancent que lui… Il reste la volonté, les émotions, la musique et l’entêtement. Montée sur les Tseppes.


« Si l’on est encore mille, eh bien j’en suis. Si même… » 


Les Tseppes. 39h37, 1’776ème, 147.5km, 8’872m. 

La descente sur Vallorcine est terrible. Des parties un poil raides et les cloques se font sentir. Le Père pense que, d’un côté, il n’y a plus tellement de peau sur 2-3 orteils. Ça ne sert plus à rien de réfléchir, il essaie de courir et n’y parvient pas toujours. Le corps arrive à bout et il faut avancer. La barrière approche et la descente semble ne pas prendre fin… Encore une partie raide, un simple champ d’herbe, mais à ce stade, c’est horrible. Le Père rentre dans sa tête… Fin de descente, il reste 5 minutes… Le Père entend la musique, voit ce qu’il croit être le ravito, il y a des gens, il court… 


« Il ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ! » 


De la foule sort une femme dont le serre-tête de licorne attire le regard. 

- Allez Le Père ! Il ne reste pas longtemps, mais on va y arriver ! 
- Mais c’est là ! 
- Non, c’est bien plus loin, cours, il ne reste que 5 minutes !!!! 

Nath le tire par le bras, le guidant vers le ravito… Le Père se remet à courir. Un sprint, enfin ce qui s’en approche le plus, compte tenu de la fatigue et de la distance parcourue. C’est long et Le Père n’arrête pas de penser 

- Non, pas là, pas là… C’est pas acceptable!!! Pas là ! Les punks sont à Chamonix, ça doit passer !!! 
- Je ne peux pas t’accompagner dans le ravito, je n’ai pas de ticket, vas-y, fonce ! 

Le Père entre dans le ravito et continue de courir jusqu'aux bénévoles qui l'attendent quasiment à la sortie du ravito avec la machine pour le badger. 

Vallorcine entrée 41h14’56’’, 4’’ avant la barrière, 1’767ème, 154.4km, 9’037m, 45’ de retard. 

Le Père se fait badger et doit ressortir tout de suite. Il n’a pas le temps de manger ou prendre de l’eau sinon il est éliminé, à 16km de l’arrivée ! 

Vallorcine sortie 41h15’47’’, techniquement barrière cramée de 47’’, mais on ne va pas se plaindre, 1’758ème, Le Père retrouve Nath à la sortie. 

Commentaire de Madame : A cet instant, ce qu’il ne sait pas, c’est que Madame voit sur le suivi live que Le Père est hors délai, que sa course est terminée !!! Elle est dans tous ses états, pleure, rage, explique à un de ses punks que papa ne va pas pouvoir finir sa course ! Au bout d’une minute, elle rafraîchit la page et l’abandon se transforme en « En course ». Elle va aller à Chamonix avec tous les punks pour le voir terminer cette course, nom d’un chien ! 

Nath ? C’est Nath DeathRunning, une traileuse du groupe Leman Trail déjà croisée de nombreuses fois sur les sentiers du Valais par bosses et par vallées. En bas de cette descente, à ce moment de la course, elle a sauvé la vie du Père ! Elle est là pour suivre un pote qui fait la PTL (pour ceux qui ne connaissent pas : la Petite Trotte à Léon, une balade de 300km autour du Mont-Blanc, par équipe de 2 ou 3, avec 25'000 m de dénivelé…) et en profite pour soutenir Le Père. 

Elle a trouvé une gourde d’eau, Le Père avait prévu une flasque de réserve car le jour se réchauffait et qu’il se méfiait, avec cette gourde il a de quoi continuer. Nath l’accompagne un bout du parcours… Le Père commet une erreur, il ralentit, se dit qu’il a encore 3h45 jusqu’à Flégère et que ça passe largement ! 2 ans auparavant, il se disait que les barrières s’écartent un peu à la fin (faux)… Il ne reste que Flégère, ça va le faire… Il ralentit et cause, tape la discussion avec l’homme de Nath, que Le Père connait également, et tous profitent de faire qq photos. 

Une fois le plat montant en direction du col des Montets entamé, un coureur japonais nous rattrape en courant, il a l'air en panique, et nous crie en anglais en passant : 

- Vite, il y a la barrière du col des Montets à 12h15, ça ne va pas passer !!!! 
- No ! The next barrier is at Flégère ! 

répond Le Père, dans un anglais parfait malgré la fatigue. Nath est déjà en train d’envoyer un message à son homme pour vérifier. Le Père sort le profil de la course, sur lequel aucune barrière n’est indiquée au col des Montets… 

12h08. 

Confirmation ? Oui, il y en a une, sur la liste des points de passages !!! 

Le Père prend congé de Nath, un peu cavalièrement, et se met à essayer de suivre le Japonais qui trottine un peu plus loin. Fin de montée, un plat, c’est sans fin… Il croise des coureurs, certains bronzent ou dorment, il essaie de les remettre en marche ! Le Père regarde tout le temps sa montre, ce qui ne sert à rien, elle vient de le lâcher par manque de batterie… 

Lecteur et néanmoins ami de la culture et de la bienséance, il n’est pas impossible que quelques jurons bien fleuris aient échappé au Père à ce moment précis… Ce n’est pas la première fois, pour cette édition, mais il faut cependant le souligner… 

Il finit enfin par descendre vers le col des Montets; une jeune est sur la route avec une affiche sur laquelle il y a un gros chronomètre… C’est la barrière. 

- Non ! Non ! Non ! Pas là !!!!!!!!!!!! 

La jeune commence à dire que nous sommes hors délai… Mais une officielle plus âgée passe devant elle et dit : 

- C’est bon foncez, allez-y vite ! 

12h17, avant-dernière barrière, 2h28 pour atteindre Flégère. Faut juste monter, ça devrait aller, non !? Un ruisseau, Le Père reremplit une de ses flasques. Il sera probablement malade, mais après l’arrivée ! Il croise un coureur en détresse qui lui dit ne plus avoir d’eau et lui donne une flasque à moitié pleine, pas celle de la rivière… Ca va pas, non !? Donner une de ses flasques Salomon toute neuve à un autre coureur !? T’as vraiment pas assez dormi !!!! Tu ne vas jamais la revoir ! 

Bon, là… Cloque ou pas, genou, jambes ou pas, il fait super chaud et il faut s'agiter... On commence sous couvert de forêt… Un officiel propose de l’eau (uniquement pour ceux qui n’en ont pas assez pour atteindre le sommet). Le Père remplit une gourde, il lui reste une gourde et demie. Plus qu’à monter et redescendre à Chamonix. 

Le Père se fait rattraper par un petit groupe. Alors qu’il se retourne, une des jeunes lui annonce : 

- Pas de stress, on reste avec vous… Voiture balais ! 
- Mais et les autres coureurs ?! 
- Ils ont abandonné ou ont été arrêtés au col. 

Ça ré-énerve Le Père qui, traditionnellement irritable, est devenu un tantinet plus bougon, voir un poil instable (genre flacon de nitro dans un shaker), accélère un peu dans cette montée. Enfin, montée… Ca monte, ça descend, mais trop raide et avec des cailloux de la taille du Père où on ne court pas faut mettre les mains, puis ça remonte… 

- Désolé les jeunes, je crains qu'en ces lieux nos chemins se séparent ! 
- Quoi, vous abandonnez ?! 
- Bien sûr que non !!!! Mais je viens de vous trouver un nouveau client ! 

Sur un rocher, une coureuse reprend en effet son souffle, avec un coureur à côté. Le Père les dépasse et gagne encore quelques places. Il dépasse une coureuse de Chine. Elle titube et se plaint en anglais, demande où est ce ravito de malheur… 

- Suis-moi, on va y arriver, viens ! 

Le Père démarre à un bon rythme. Elle s’accroche et, bien que plus loin, tient la distance. La montée est longue, en tous cas elle paraît interminable. Le temps passe, la barrière approche… 10 fois Le Père croit voir la fin de la forêt, 10 fois ce n’est qu’une trouée ou une clairière… Arrive enfin la lisière, on passe sur la piste. Deux officiels indiquent le chemin et disent de se dépêcher… Comme si on traînait pour le plaisir !!! 

En même temps : qui peut leur en vouloir ?! Ils attendent depuis le matin que les derniers arrivent et par ailleurs savent qu'on a plus la force, sans parler du temps, de distribuer quelques coups de bâtons ou de procéder à une explication caritative à base de dents pétées...

Plein soleil, il reste 1.3km et moins de 13’ jusqu’à la barrière. Le Père essaie d’aller plus vite, les coureurs, enfin les marcheurs à ce stade, se suivent à quelques mètres d’écart. 


« S’il en demeure dix, je serai le dixième… » 


Sous Flégère, à quelques dizaines de mètres, du monde au bord du chemin. Ça crie et encourage, vite ! La Barrière !!! Le Père commence à courir comme il peut et rentre dans le ravito, à l’ombre. 

166.6km, 10’015m de dénivelé, 44h46’50 secondes, barrière officiellement passée depuis 1’50’’, plus de barrière jusqu’à l’arrivée. Plus de 54’ de retard, 1’753ème. 

Les quelques bénévoles pressent les coureurs de remplir leurs gourdes et de repartir, la barrière est là !!! Le Père s’enquiert de sa flasque (belle lucidité), quelqu’un lui en tend une, ce n’est pas la sienne, mais il n’y en a pas d’autre… Il la prend et repart. 

Le début de la descente est raide et fait bien mal aux cloques. Le Père attend avec impatience la partie forêt dans laquelle il s’était lâché 2 ans plus tôt. C’est une section un peu technique mais il avait adoré et pu trouvé un rythme de dingue… Là, rien ne se passe. Il ne peut pas courir, les jambes disent simplement non. Plus de jus. Des crampes, le genou fait bien mal, malgré le tape qui a bien tenu jusque-là, la fatigue, surtout les orteils… 

Depuis plus de 100km, Le Père souffre des pieds… Depuis plus de 70km, des traces sur le dessus de ses chaussures lui laissent à penser que les cloques ont pété et que ça ne va pas être beau à voir au démoulage… 100km de frottements plus ou moins intenses. Fatigue, émotions de la course, douleurs, savoir qu’au bout il y a les punks et Madame qui attendent, Le Père a les yeux qui piquent… (de nombreux messages et photos attestent qu’ils attendent et ont préparé des panneaux). 

Le temps passe, en partant de Flégère, il avait 1h45 pour rallier Chamonix… Là il voit la barrière (finale) se rapprocher. 

- Cours saloperie ! 

Oui, Le Père travail sur base de stimulation positive renforcée...

- OH ! Tu me causes plus souple ?! 
- Bouge ton c*** !!! 
- Beaucoup mieux… 
- Allez, bouge-toi ! Les punks attendent !!! 
- Va mourir et manger tes morts ! 

Fin de forêt, il a un peu couru, se remet à courir. On arrive en bas. Grand bonheur : l’escalier qui passe au-dessus de la route, pour éviter que les coureurs arrêtent les voitures, est fermé par de la rubalise. Il semble qu’il n’y a plus assez de passage pour ennuyer. Le Père apprécie de ne pas avoir à faire cet exercice ! 

Il rentre dans Chamonix. Regarde son téléphone. Message à Madame : 

- Suis dans Chamonix 

Il ne voit pas la réponse : 

- On t’attend !!! 

Dans Chamonix, douleur ou pas, tu cours ! On croise ceux qui ont fini, le public crie et encourage, les passants applaudissent… Le long de la rivière, la foule augmente, au centre, c’est incroyable !!! 


« Et s’il n’en reste qu’un… Je serai celui-là ! » 


Le Père court, enfin trottine… En approchant de l’avant-dernier tournant, il aperçoit les punks avec des pancartes Allez Papa ! et GO ! GO ! GO ! Ah, il manque un punk !? Ils l’ont vu, se mettent à hurler et sa fille vient lui prendre le bras pour le tirer vers l’arrivée. On court tous ensemble, dernier tournant… Soudain 2 touristes traversent le passage et s’arrêtent devant nous ?! 

- Sorry ! 

On finit en courant aussi vite que possible, le punks sprintant en tirant Le Père ! Madame attend sous l’arche en filmant, l’émotion s'entend dans sa voix… Toutes les lignes d’arrivée sont émouvantes, mais celle-là se mérite et a vraiment fait mal… 

173.2km, 10'015 de dénivelé (10'188 d’après ma montre en 2021, 178km), 46h35’51’’, dont 4h50de repos, comme ils disent sur le site… Hors délais de 5’51, mais classé malgré tout (le dernier classé finit en 48h16), 1’747ème sur les 2'693 participants… Ca semble bon, mais c’est oublier les 931 abandons ! Oui, pour une course pour laquelle il faut avoir déjà couru au minimum une course de 100km ou plus, pour laquelle les gens se préparent presque une année, 1/3 des gens ont abandonné… Donc derrière Le Père, il reste 10 personnes qui passent la ligne, dont un qui la passe 1h41 après… 

Le Père remercie les Punks, embrasse Madame comme il se doit et les remercie tous pour leur soutien. Il félicite sa collègue chinoise qui arrive. Trouve et remercie le Japonais qui lui a sauvé la vie, au col des Montets, et va s’assoir un moment sur un muret pour causer avec la tribu. 

Après un moment en famille, il dit qu’il faut qu’il passe voir le doc pour regarder ses pieds… Madame rembarque les punks après un dernier bisou et quelques photos. Le Père se rend sous la tente médicale. 

- Bonjour, c’est pour une urgence… Vous vendez des orteils ?! 
- Euh, mais on peut toujours regarder… enlevez vos chaussures… Les chaussettes aussi ! 
- Euh, j’ose pas, j’ai peur que la peau parte avec… 
- Ah… Alors, on va y aller doucement ! 

A la grande surprise du Père (et joie), la peau est restée ! Bon ok, gros orteil droit, 70% de l’orteil est une cloque éclatée, petit orteil même côté 80-90%, 2 autres cloques de ce côté… Inventaire à la prévert : 

- Alors, là pas besoin de faire grand-chose, on désinfecte. Je vais vous remplir deux cloque avec du désinfectant… ça va piquer ! 
- Euh… plus que 100km avec ces cloques ? 
- Effectivement, ça devrait aller... 

De l’autre côté, moins de dégâts : 5 cloques dont 4 trop profondes pour être traitées, le deuxième orteil en partant du petit a pris très cher, mais vu l’état des pieds, le traitement n’est pas si douloureux ! 

- Euh, je ne vais pas pouvoir remettre mes chaussures, là… 
- Vous avez des tongs ? 
- Oui, à l’hôtel… 
- Alors pieds-nus… D’ailleurs pas de chaussures pendant 2 semaines, à priori ! Vous voulez que je mette des pansements ? 

Le Père le regarde style : oui, et on va faire un bisou et souffler dessus aussi ?! Un jeune passe la tête sous la tente : 

- Chef, il y a une coureuse qui n’a pas pu s’alimenter depuis 20km, elle est pas bien et à mal au ventre, je lui donne quoi ? 
- A manger ! 

rétorque Le Père sans réfléchir. Regards interloqués du chef et du jeune… 

- Regarde si elle peut avaler quelque chose… 

Pieds nus, Le Père rentre lentement à son hôtel, et merde pour le style et la classe. Tas d’habits, tas de matos, il se rend dans la salle de bain. Il a juré de ne plus prendre de bain dans cet état, s’étant endormi en 2021 dans son bain… Bon ok, lecteur hypocondriaque et prévenant, Le Père n’a pas un format à se noyer dans une baignoire… A la limite dans une piscine, olympique, mais pas dans une baignoire !? 2m, merde, fais des simulations, tu vas voir qu’il faut faire exprès ou l'aider !!! Ok, lecteur idolâtre, je comprends tes angoisses quant à la disparition du Père... Je crains qu'il ne soit pas encore assez connu pour justifier de craindre qu'on attentât à sa vie !!! Par ailleurs, bien que n'étant plus au sommet de sa gloire et n'ayant jamais eu le physique d'un rugbyman, mettre un garde du corps à côté du Père risque d'entrainer quelques commentaires du genre :

- Ah, il avait un petit frère et n'en a jamais parlé ?!

Et il faut en trouver un qui, s'il ne tient pas 170km, peut au moins en faire 111... OK, à un rythme poussif, lecteur moqueur ! 

Mêmes causes, mêmes effets : avec 40’ de sommeil en moins qu'il y a 2 ans, il ne se voit pas s’endormir. L’eau froide le réveille assez vite. Il sort difficilement et se sèche. 

Bon, il faut aller manger… S’habiller prend du temps. Rien que de mettre des tongs pique. Le Père sent clairement son cerveau tourner au ralenti. Il repart vers le centre. En marchant à plat, il respire comme lorsqu'il court à plat normalement... Italien ? Bof. Brasserie ? Nope. Chinois ? Ah, pourquoi pas. Il commande, et pendant qu’il attend sa commande, achète deux verres de jus de fruits frais, mélange mixé d’ananas, bananes, fraise, framboises, kiwi et autre, il en boit un tout de suite et emporte l’autre avec son sac de poulet piquant et riz… Sur le chemin du retour, il croise un McDo… Euh, il a déjà ce qu’il lui faut, non ? 

Ok, il repart avec un menu, l’anorexie n’est pas à prendre à la légère et il vient de cramer 17'000 calories en se nourrissant de bouillon, de compotes et en buvant de l’urine de mangouste, même s’il y a eu des mélanges salés de noix, des bretzels et sucres de raisin, pas de quoi tenir debout. 

Reste un débardeur infâme, mais dont la couleur et la texture sont à des années-lumière des 2 qu’il a déjà, presque tolérables. Une bande de tissu qu’il mettra du temps à enlever de son poignet. Un teeshirt pour les 20ans. Des pieds qui cicatriseront rapidement, les genoux et les orteils repoussent. Des souvenirs et regrets comme à chaque course et surtout une gigantesque émotion ! 

Merci aux bénévoles, bien sûr, sans qui rien ne serait possible. Merci à Antoine et Nath qui m’ont énormément aidé et m’ont sauvé la vie chacun à leur tour ! Merci au Japonais volant, qui m’a évité la honte d’une disqualification à 10km de l’arrivée. Merci à mon coach Geoffroy, pour sa patience et la préparation. Merci à Flaubert, le magicien qui retape mes articulations et me permet de revivre après une course… Mais surtout, surtout, surtout, merci à Madame qui supporte ces conneries et la préparation qui va avec tout au long de l’année, et aux punks qui supportent, soutiennent et tancent, et finalement courent avec lui à la fin ! Petite mention pour no 6 qui, soit trop ému soit fatigué, n’a pas sorti son habituel : 

- La course de bâââtard ! 

Un grand merci aux autres punks qui l’ont mis devant les Tuches… 

PS1 : comme le dit Le Père : on rigole mais on ne se moque pas... Il prend les remarques et quolibets uniquement de ceux qui ont fait aussi bien... et dans les même conditions ! 

PS2 : je viens de traverser deux aéroports… 

Sérieusement, on en parle ?! Il n’y a que moi que ça choque ?! Franchement, faut arrêter là !!!! Le gars qui se balade avec son ridicule oreiller gonflable autour du cou, de préférence en chaussettes blanches et claquettes… Un peu de fierté, merde !? C’est comme les trottinettes électriques, à un moment il faut dire stop !!! 

Repose-toi, lecteur fidèle, le compte-rendu a été un peu long… La saison est finie, alors relax !

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